Le contrôle des armes à feu en Nouvelle-France
En Nouvelle-France, tous les habitants qui étaient capables de se servir d’une arme à feu étaient aussi obligés d’en posséder une.
C’était la loi.
On peut le comprendre : il n’y a jamais eu assez de soldats pour défendre la Colonie comme il faut (en fait, à certains moments, il n’y en avait pas du tout). Les habitants devaient compenser et apprendre à se protéger eux-mêmes.
Et le danger était réel.
Si bien qu’en 1654 et 1658, devant les menaces d’attaque des Iroquois, les autorités ont exigé des habitants qu’ils portent sur eux une arme à feu en tout lieu et en tout temps.
Donc, à chaque fois qu’ils quittaient leur maison, les habitants devaient porter sur eux une arme arme à feu, des balles et assez de la poudre pour tirer au moins 6 coups.
Mais les habitants de la Nouvelle-France détestaient qu’on leur impose quoi que ce soit.
Malgré le fait que ce soit inscrit dans la loi et que ce soit une question de survie, ce ne sont pas tous les habitants qui possédaient des armes à feu.
Dans une lettre qu’il a envoyée au roi en 1672, Frontenac écrivait que plusieurs habitants étaient « désarmés, pour avoir traité leurs fusils, ou par pauvreté, ou par négligence » (RAPQ, 1926-1927, p. 16)
Et l’année suivante, il écrivait ceci : « la plupart des habitants sont sans armes et n’ont pas le moyen d’en acheter » (RAPQ, 1926-1927, p. 47)
Le roi n’en revenait tout simplement pas. Il se demandait pourquoi qu’ailleurs dans son royaume, il n’avait aucun problème à armer ses sujet (en fait, il avait de la difficulté à les désarmer) et pourquoi, c’était si différent en Nouvelle-France!
Selon lui, il n’y avait aucune raison valable! C’est pourquoi à chaque année, il donnait l’ordre au gouvernement de la Nouvelle-France de s’arranger pour que les habitants soient prêts à se battre en tout temps.
Pour y arriver, les autorités ont mis en place une série de mesures qui avaient pour but d’un côté d’obliger les habitants de se munir d’armes à feu (ce qui n’a pas vraiment fonctionné) et de l’autre, de les aider à en acheter.
Par exemple, pour ceux qui n’avaient pas beaucoup d’argent, on leur indiquait le nom de marchands de Montréal et de Québec qui acceptaient de vendre des fusils contre du blé ou de la chair de cochon salé.
Il arrivait aussi qu’avant une expédition, le gouvernement prête des fusils aux habitants, à condition qu’ils les rapportent ou qu’ils les achètent à leur retour.
Le problème, c’est que plusieurs habitants en profitaient pour revendre leur fusil. Ils disaient qu’ils avaient perdu leur fusil pendant la bataille ou qu’il s’était brisé…
En d’autres termes, les autorités prêtaient des fusils aux habitants ou les vendaient à crédit, mais elles ne récupéraient très rarement l’argent.
Posséder une arme à feu et savoir l’utiliser, c’était peut-être obligatoire. Mais en lisant les sources, on peut vraiment se demander ce qui se passait dans la tête de certains habitants quand on leur donnait un fusil.
Parce que, voyez-vous, certains avaient pris l’habitude de tirer des coups de fusil… en pleine ville… Et selon l’intendant Bigot, au XVIIIe siècle, ça se faisait quotidiennement.
Et, on peut l’imaginer, ça posait problème… Mais assez étrangement, on ne semble pas s’inquiéter que ça puisse blesser ou tuer quelqu’un.
On s’inquiétait plutôt des risques d’incendie.
Quant on chargeait un fusil, on mettait une bourre pour garder la poudre et la balle dans le fond du canon. Généralement, la bourre brûlait avant de sortir du canon. Mais pas toujours…
Et, effectivement, on sait maintenant que des maisons et des granges ont pris feu à cause de la maladresse d’un chasseur qui a tiré un peu trop près du toit…
Au XVIIIe siècle, les autorités ont tenté plusieurs fois d’interdire de tirer des coups de feu en pleine ville… Mais à voir la quantité d’ordonnances qui ont été publiées, visiblement, ça ne servait à rien et les gens continuaient à le faire…
Mais il y avait un autre danger : les habitants gardaient beaucoup trop de poudre à canon dans leur maison (et je n’ai pas besoin de vous dire à quel point ça peut être dangereux).
Dans une ordonnance de 1721, l’intendant Bégon a tenté d’imposer une limite d’un seul baril de poudre par maison.
Mais on sent dans son texte que c’était peine perdue : il avoue lui-même que ça faisait au moins 30 ans que les autorités tentaient d’imposer une limite d’un seul baril par maison…
Imaginez les conséquences d’une bourre encore chaude qui tombe sur de la poudre à canon en pleine ville…. Les habitants jouaient littéralement avec le feu…
Et voilà! Vous savez maintenant à quel point, les autorités de la Nouvelle-France ont essayé de contrôler la possession, la vente et l’utilisation des armes à feu. Mais de toute évidence, ils ont raté leurs cibles.
BIBLIOGRAPHIE :
ÉTUDES :
BOUCHARD, Russell, « Les armes à feu en Nouvelle-France », Sillery, Septentrion, 1999, 177p.
SOURCES :
– « Arrêt du Conseil Supérieur de Québec qui défend d’acheter, vendre ou troquer les armes des habitans, à peine de 50 lbs d’amende, du lundi quatorzième janvier, mil six cent quatre-vingt-six », p. 80
« Complément des ordonnances et jugements des gouverneurs et intendants du Canada », Québec, E. R. Fréchette, 1856
– 21 mai 1721 – « Jugement qui condamne un habitant de Charlebourg en cinquante livres d’amende, et à la confiscation de son fusil, pour avoir tiré un coup de fusil dans la ville » – p. 238
– 21 mai 1721 – « Ordonnance qui défend à toutes personnes de tirer des coups de fusil dans les Villes et sur les Granges à la campagne, ni de faire aucun Feu près des dites granges; à peine de 50lbs d’amende; du vingt-unième Mai, mil sept cent vingt-un » – p. 438
– 27 août 1754 – « Ordonnance qui renouvelle les défenses de tirer des coups de fusils dans les villes et faubourgs, sous peine de 50lbs d’amende contre les contrevenants; du vingt-septième Août, mil sept cent cinquante-quatre » – p. 473
– « Interdiction aux marchands de troquer les armes et aux huissiers de les saisir » (p. 599 – table des matières, car les pages 110 et 111 n’ont pas été numérisées)
FRANQUET, Louis, « Voyages et mémoires sur le Canada », Québec, Imprimerie générale A. Côté et Cie, 1889
« Juridiction de Montréal, Arrêts, édits, mandements, ordonnances et règlements [documents textuels (microformes)]. »
– 24 octobre 1682 – « 1682, 24 octobre-Ordonnance de M. Lefebvre de La Barre enjoignant à tous les habitants de se munir de fusil, etc., dans leurs maisons pour tous ceux qui sont capables de porter les armes et injonction au sieur Aubert de La Chesnaye, à Québec et au sieur Le Ber, à Montréal, d’en vendre contre du blé, à raison de 50 sols le minot, au moins, ou contre des chairs de cochon salé, au prix ordinaire pour ceux qui ne pourraient payer autrement. L. p. et a., le 29 novembre, par Lory. »
– 21 mai 1721 – « Ordonnance de l’intendant Bégon qui défend « de tirer des coups de fusil dans l’enceinte des villes… ou sur les granges et autres bâtiments de la campagne et de faire aucun feu près » de ces bâtiments et « d’avoir dans sa maison plus d’un baril de poudre ».»
– 11 octobre 1721 – « Ordonnance qui défend aux habitants de la ville des Trois-Rivières et des environs de tirer aucuns coups de fusil sur les pigeons tant dans la dite ville que dans les dehors à peine de quinze jours de prison pour la première fois et cinquante livres d’amende en cas de récidive. »
– 21 juin 1726 – « Ordonnance de police faisant défense de tirer dans les cheminées, en cas d’incendie, aucun coup de fusil chargé à balles ou de gros plomb. Paris. Imprimerie Mariette. »
– 19 mai 1727 – « Ordonnance qui condamne le nommé Duplessis, habitant de Charlesbourg, en cinquante livres d’amende pour avoir tiré un coup de fusil dans les vitres de la maison de Jacques Parent dit Desbuttes, charpentier, de Québec, et qui confisque son fusil au profit du roi. (Publiée dans Edits et Ordonnances, vol. III, p. 238). »
– 6 juillet 1733 – « Ordonnance de Pierre Raimbault, lieutenant général de la juridiction royale de Montréal – défense de tirer des coups de fusil dans l’enceinte des villes ou sur les granges et autres bâtiments de la campagne; défense de faire aucun feu contre les granges; interdiction d’avoir dans sa maison plus d’un baril de poudre. »
– 22 septembre 1735 – « Ordonnance de l’intendant Hocquart portant défense de tirer des coups de fusil dans la ville de Québec. »
– 28 juin 1752 – « Ordonnance de M. de Monrepos défendant de tirer les coups de fusil dans la ville et dans les faubourgs, près des maisons, à peine de 50 livres d’amende. L. p. et a., le 29 juin, par Decoste. »
– 25 juillet 1755 – « Ordonnance de M. de Monrepos défendant de tirer du fusil dans la ville et les faubourgs. L.p. et a., le même jour, par Decoste. »
– 14 juillet 1757 – « Ordonnance de M. de Monrepos portant défense de tirer du fusil dans l’enceinte de la ville ainsi que dans les faubourgs, près des maisons. L.p. et a., le 14 juillet par Houllier. »
« Rapport de l’Archiviste de la Province de Québec pour 1924-1925, Québec, Ls-A. Proulx, 1925
– « Ordonnance du gouverneur de Lauzon qui oblige tous les Français à se rendre à leur travail avec leurs armes à feu (14 novembre 1654) », p. 390
« Rapport de l’archiviste de la province de Québec », 1926-1927, Québec, L.-Amable Proulx, 1972
– « Lettre du gouverneur de Frontenac au ministre (2 novembre 1672)», pp. 10-22
– « Lettre du gouverneur de Frontenac au ministre Colbert (13 novembre 1673)», pp. 26-51
– « Lettre du roi au gouverneur de Frontenac (22 avril 1675) », pp. 80-82
ROY, Pierre-Georges, « Ordonnances, commissions, etc, etc, des gouverneurs et intendants de la Nouvelle-France, 1639-1706 », vol. 1, Beauceville, L’Éclaireur, 1924,
– « Ordonnance de M. De Montmagny qui défend de faire la traite des armes, poudre, etc, etc (9 juillet 1644) », p. 5
ROY, Pierre-Georges, « Ordonnances, commissions, etc, etc, des gouverneurs et intendants de la Nouvelle-France, 1639-1706 », vol. 2 (?)Beauceville, L’Éclaireur, 1924, p. 80
Note : Dans ce document suivant (p.80), il est fait mention que la plupart des membres de la milice n’ont pas de fusil. Le gouvernement leur en a fourni, mais à condition soit de les rapporter, soit de les acheter.